8 mars 2009

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CHAMPIGNONS VENENEUX
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Il est malheureux tout de même,
En cet an mil neuf cent douzième,
De voir encor des abrutis
S’empoisonner à pleine bouche
De champignons plus ou moins louches,
Bien qu’ils soient dûment avertis.

Mais pauvres hommes que vous êtes,
Vous n’avez pas l’instinct des bêtes,
Du plus misérable baudet :
Chaque année, à la même époque,
On vous le dit sans équivoque,
Et c’est comme si l’on chantait.
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Tas de cabochards, somme toute,
Quand vous avez le moindre doute
Sur la comestibilité
De tel champignon, belle affaire !
Jetez-le - seule scène à faire.
Mais jamais vous n’avez douté !

Vous mangez tous ces cryptogames
Indifféremment - dont deux grammes
Vous tuent dans l’instant ; avec eux
C’est la mort sans phrases, atroce
Pourtant j’en sais d’affreux, les rosses !
Qui sont fétides et visqueux.

Les trois quarts sont indésirables
Malgré leurs couleurs admirables
Et qui varient à l’infini;
Quand on les rompt, d’aspect hostile.
Je ne dis pas - c’est inutile -
Qu’ils semblent made in Germany.

Le « bolet satan » par exemple,
Pour si peu que l’on le contemple
On se dit : mâtin ! celui-là
Ne m’a pas l’air bien catholique,
Il vous donnerait la colique
Rien qu’à voir la gueule qu’il a.


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* ...*


Mais s’il en est d’aléatoires,
Vermineux et bacillatoires,
Dont se gorgent les vils crapauds,
C’en est d’autres indiscutables
- Eternel honneur de nos tables,
Définitifs, de tout repos.

Tenez -vous -en, brutes épaisses,
A trois ou quatre espèces :
Vous n’êtes pas sans discerner,
Que je suppose - une morille.
Elle porte son estampille.
Un enfant peut en témoigner.

De même l’oronge, la vraie,
De son chapeau rouge parée,
Avec ses dessous jaune d’or,
Se caractérise entre mille.
Et pour le parfait mycétophile
Je crois qu’elle tient le record…


Cependant que la fausse oronge
A le pied blanc ; un mal la ronge
Qui se traduit, sur son chapeau,
Par de blanchâtres bubelettes ;
A moins de cécité complète
On la reconnaît… ab ovo.
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Le cèpe dit tête de nègre,
Vous pouvez, et d’un cœur allègre,
Vous l’appuyer. Ferme et trapu,
Il s’avère d’une odeur franche.
De même, sa chair reste blanche
Après que vous l’ayez rompu.

C’est également la girolle
Qui, sans appeler l’hyperbole,
Est inoffensive, elle aussi.
Voilà donc trois ou quatre espèces
Qui ne sont nullement traîtresses,
Bien au contraire. Mais que si,


En votre aveuglement extrême,
Par hasard, vous ne pouvez même
Ces trois ou quatre discerner,
Que voulez-vous que je vous dise ?…
N’y touchez pas, cette bêtise !
Et puis allez vous promener.

Ou bien, contentez votre envie
Si vous êtes las de la vie.
Allez-y, mangez sans remords
Les champignons les moins notoires,
Mais ne faîtes pas tant d’histoires
Une fois que vous êtes morts !…



RAOUL PONCHON

le Journal
02 sept. 1912
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