8 oct. 2007

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Mort au Nu
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Donc, le Courrier Français a commis tous les crimes,
Ceux même dont les noms ne trouvent pas de rimes,
Dont le plus odieux, c'est Thémis qui l'a dit,
Est d'avoir montré son derrière en plein midi ;
Et Thémis, vous savez, malgré son air paterne,
Sait distinguer un cul d'avec une lanterne.
Messieurs, je le défère à votre tribunal.
Oui, le Courrier Français, cet infâme journal,
- Je dis infâme, avec un accent circonflexe -
Outrage la morale, et les moeurs, et le sexe,
Le bon sens, et le goût de ses concitoyens
A toute heure du jour par ses dessins païens.
Il ne se passe pas une semaine
Qu'il n'étale aux regards une gravure obscène,
Quelque chose de nu, de louche, de hideux.
Si l'un fait un derrière un autre en fera deux.

Forain quatre plutôt ; Legrand bestialise ;
Heidbrinck a des sujets qui défient l'analyse.
Et qu'importe à ces gens-là le sujet ? pourvu
Que ce soit un derrière et pourvu qu'il soit nu,
Etant persuadés dans leur âme ordurière
Que toute la Beauté siège dans le derrière.
Tous ces dessinateurs dessineront encor,
Pour faire ce qu'ils font Roques les couvrant d'or,
Il faut les accabler d'une peine infinie,
Etant plus dangereux qu'ils ont plus de génie.




Et depuis quand, Messieurs, le monde va-t-il nu ?
On me dit : l'âge d'or ! mais, l'avez-vous connu ?
Ou s'il est à venir, attendons sa venue.
Est-ce que je suis nu, ma femme est-elle nue ?
Ma fille - chaste enfant - est-elle nue aussi ?
Ah ! bien, si tous les gens se mettaient nus, merci !
Hommes, femmes, enfants, vous voyez ça d'ici.
- Ce serait un retour vers la simple nature,
Dîtes-vous ? Parbleu oui, vers la littérature,
Bien plutôt, vers l'ordure et vers la pourriture.
J'admets le nu...
Ah ! Ah ! (sur plusieurs bancs)
Quand on ne le voit pas.
Et surtout je n'en veux pas entre les repas.
Eh bien, je ne puis pas sortir et faire un pas
Dans la rue, et partout, à Paris, à Manosques,
Chez les peuples les plus lointains, Kurdes et Osques,
Sans voir des nudités jaillir à tous les kiosques ;
Si je veux m'y soustraire, entrer dans un café,
Ferry m'apporte encor de son air échauffé
Les dessins orduriers de ce Courrier fieffé.
Il est le seul journal des journaux à images
Qui cause à la pudeur publique des dommages.
Ni le Monde illustré, ni l'Illustation
Ne font d'obscénités grande consommation
Que je sache, on peut les feuilleter en famille,
La mère en permettra la lecture à sa fille.
Et tenez, la Revue où Brunetière pond
Pour le goût et le tact mérite le pompon,
C'est vrai qu'elle n'a pas d'image, on me répond.
Elle n'en est pas moins la sublime Revue
Des Deux-Mondes.
Hélas ! (dit la voix de l'Abime)
Je puis la mettre en vue,
La laisser sur ma table, on n'y trouverait pas
De ces romans où l'on trébuche à chaque pas
Dans l'ordure.
Aujourd'hui, Messieurs, l'on se demande
Ce qui fait qu'à Paris la licence est si grande,
Au point d'effaroucher la pudeur allemande.



Cela vient simplement des monstrueux excès
Auxquels se porte Roques et son Courrier Français.
Il y a bien par-çi par-là quelques abcès ;
De la graine de grinche et de la fleur d'escarpe
Jouant mieux du couteau qu'ils ne font de la harpe,
D'infâmes galapiats, des gouapes, des marlons
Qui dans Paris, la nuit, rôdent comme des loups,
Et font de la cité comme une vaste usine
Où l'on espionne, où l'on vole, où l'on assassine ;
Mais ils viennent pour la plupart de l'étranger
Et ce n'est pas de là qu'issira le danger.
Le danger est celui que plus haut je signale
Et nous vient du Courrier, cette feuille immorale.
Je demande que tous les collaborateurs
Soient fusillés demain, par respect pour les moeurs,
Et qu'à Roques lui-même en fasse son affaire,
Puisque, pour le moment, Deibleir n'a rien à faire.




RAOUL PONCHON
le Courrier Français
19 août 1888




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