14 janv. 2008

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SPECIALISTES
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Un de mes lecteurs insiste
Depuis une éternité :
« -
Qu’est-ce qu’un spécialiste ?
Une spécialité ?


Comme je n’ai rien à faire
Aujourd’hui, ma foi, je vais
Tâcher de le satisfaire,
Pour qu’il me fiche la paix.

Un spécialiste, en somme,
Est un monsieur obstiné
Qui s’éternise, ou tout comme,
Sur un point déterminé.

Il me donnerait un zeste
Du métier de son voisin.
Il ne comprends rien, du reste,
Sorti de son magasin.

Lynx pour ce qui l’intéresse,
Il est pris de cécité
Pour tout ce qui ne s’adresse
A son métier limité.
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Rimailles, en quelque sorte,
Voilà le mien de métier…
Rimé-je mal , il n’importe -
Je m’y donne tout entier.


Tout le reste m’est fumée.
On peut dire, en vérité,
Que la Gazette Rimée
Est ma spécialité.

Quant à ce fin diplomate
De Mohammed el Mokri,
Son spécialisme éclate.
Il est même « dernier cri ».

*
* ...*


Tenez, sans être plus ample,
Mon discours sera meilleur,
Si je vous prends, par exemple,
Cet arroseur balayeur

Qui traîne, d’un air morose
Un serpent articulé,
Avec lequel il arrose
Quand ça n’est pas un balai.

Regardez bien sa manière :
Il balaie à tour de bras,
Pour faire de la poussière,
Alors qu’il n’y en a pas…

Ou, de sa dextre empressée,
Que nul autre soin n’émeut,
Il arrose la chaussée
Plus notamment quand il pleut ,

Parce qu’en définitive,
Il doit, la nuit et le jour,
Arroser, quoiqu’il arrive,
Et balayer, tour à tour.


Souvent, il vous prend envie
De dire à cet employé :
Tu ne sauras, de ta vie,
Arroser ni balayer.

Mais il s’en faut qu’on s’y risque !
Il répondait, irrité :
« - Je dois m’y connaître, puisque
C’est ma spécialité ! »

L’argument est sans réplique.
Car toujours il versa
Le métier dont il se pique
Ne sachant faire que ça.

Est-il besoin que j’insiste ?
Il en va de même pour
Tout autre spécialiste,
De Paris à Singapour.

C’est, pour terminer ma glose,
Un être absurde, anormal,
Qui ne connaît qu’une chose,
Et, de plus, la connaît mal.



RAOUL PONCHON
Le Journal
05 fév. 1906

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